La réalité de ces violences sexuelles
Les victimes sont en grande majorité (83%) des femmes qui témoignent avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance qui sont des incestes dans 44% des cas, des viols dans 22% des cas (incestueux dans 49% des cas) ; les hommes sont plus souvent agressés enfants dans des contextes scolaires ou d’activités extra-scolaires ; ces violences sexuelles ont été subies en majorité très jeune : 50% avant 10 ans (17% avant 6 ans), une seule fois pour la moitié d’entre elles mais pendant plus d’un an pour près du quart des victimes. 5% d’entre elles étaient handicapées lors des violences sexuelles (et même 8% lors des viols, plus de 4 fois plus que dans la population générale des mineurs qui sont 1,7% à être handicapés).
Les agresseurs sont en grande majorité (90%) des hommes, qui ont une moyenne d’âge de 30 ans, en grande majorité connu de la victime, en majorité des membres de la familles, dont 30% sont mineurs, et qui d’après les victimes aurait fait d’autres victimes dans 30% des cas.
Loi du silence et absence de protection
Les victimes sont souvent amnésiques des violences dans 39% des cas (47% pour les victimes de viols, 50% pour les victimes d’inceste et 61% si les victimes ont moins de 10 ans), amnésie qui dure pendant plus de 20 ans pour un tiers d’entre elles.
Des victimes qui parlent mais ne sont pas protégées pour autant : 69% des victimes parlent (et même 77% en cas de viol) mais tardivement en moyenne plus de 12 ans après les premières violences sexuelles (et même près de 14 ans en cas de viol), plus les victimes sont jeunes au moment des violences plus elles parleront très tard, dans 80% des cas c’est à leur propre initiative qu’elles ont parlé en majorité (56%) à un membre de leur famille.
Mais parler n’est pas du tout pour les victimes une garantie d’être secourues : pour deux tiers d’entre elles le fait d’avoir parlé n’a entraîné aucune conséquence, seules 8% ont été protégées, l’agresseur n’est éloigné de la victime que dans 6% des cas, 12% seulement des violences sexuelles ont été signalées. 24% des interlocuteurs ont préféré esquivé le sujet, 17% (et même 24% quand il s’agit de viol) ont mis en doute la victime et ont accusé la victime de mentir, 13% (et même 22% quand il s’agit de viol) ont demandé à la victime de garder le silence. Un quart des victime côtoie encore l’agresseur au moment de l’enquête et près d’une sur dix le croise régulièrement.
Pour les 31% de victimes qui n’ont pas pu parler, ce qui les a le plus empêcher de parler c’est surtout la honte, dans 43% des cas (56% en cas de viol), le fait de ne pas savoir nommer ce qui s’est passé, ni comment en parler (37%), de ne pas savoir à qui parler (34%), de penser que cela ne servirait à rien (32%), de penser qu’on ne les croirait pas (30%), de se sentir coupable ( 29% et 48% en cas de viol) ; et dans 21% (39% en cas de viol) les menaces, l’influence et les manipulations de l’agresseur.
De très lourdes conséquences à long terme sur la vie et la santé des victimes
Ces violences sexuelles ont de très lourdes conséquences sur la vie et la santé des victimes avec des situations de précarité bien plus fréquentes : ces conséquences d’autant plus graves que ce sont des viols, que les victimes sont des filles, que les violences sexuelles ont été commises par un membre de la famille proche et qu’elles ont duré plus d’un an. Les victimes de viols sont 77% à évaluer comme important l’impact sur leur santé mentale, 59% sur leur santé physique, 81% sur leur sexualité, et 74% vie familiale et sociale, 54% sur les études et sur leur vie professionnelle. Plus de la moitié des victimes ont souffert d’épisodes dépressifs et de troubles anxieux, près de 50% des victimes de viols dans l’enfance ont fait des tentatives de suicides, plus de 50% ont présenté des troubles alimentaires, plus d’un tiers des conduites addictives. Les situations d’arrêt de travail, d’invalidité, de reconnaissance de handicap, sont bien plus fréquentes, de même que les situations de grande précarité (16%), de période sans domicile fixe (13%), et que les situations prostitutionnelles (13%). Il est à noter que les hommes sont plus nombreux à témoigner de ces trois dernières conséquences. Il est également à noter que 10% des filles qui ont subi des viols se sont retrouvées enceintes (avec 33% seulement d’IVG).
La prise en charge médico-psychologique est notoirement insuffisante ce qui représente une importante perte de chance pour la santé des victimes : moins d’une victime sur dix a bénéficié d’une prise en charge médicale immédiate, pour la majorité a fallu attendre plus de 10 ans, seules 23% des victimes ont bénéficié d’une prise en charge médico- psychologique spécialisée. Et près de 80% des professionnels de la santé ne font pas le lien entre les violences subies dans l’enfance (avec le trauma que cela a engendré) et leur état de santé. Il faut rappeler que les professionnels de la santé sont très peu nombreux à être formés spécifiquement, que les troubles psychotraumatiques et la prise en charge des victimes de violences et de leurs psychotraumatismes ne sont toujours pas enseignés, sauf exception, dans le cadre des formations initiales et continue, et qu’il y a très peu d’offre de soin alors qu’il s’agit d’un énorme problème de santé publique, reconnu comme tel par la littérature internationale et l’OMS.
Cette offre de soins très insuffisante participe au déni et à l’abandon des victimes. L’absence de dépistage, de protection et de prise en charge de ces enfants est une lourde perte de chance pour eux, d’autant plus que les soins dont ils pourraient bénéficier sont efficaces. Idéalement la prise en charge des troubles psychotraumatiques doit être la plus précoce possible, pour autant il n’est jamais trop tard pour proposer des soins, même 50, 60, 70 ans après. Une prise en charge de qualité permet de traiter la mémoire traumatique et de réparer les atteintes cérébrales, et d’éviter ainsi la majeure partie de toutes les conséquences des violences sur la santé, ainsi que de leurs conséquences sociales. La méconnaissance de tous ces mécanismes psychotraumatiques, l’absence de soins, participent donc à l’abandon où sont laissées les victimes, à la non-reconnaissance de ce qu’elles ont subi et à leur mise en cause comme nous l’avons vu.
Peu de plaintes sont déposées et la justice peine à traiter ces délits et ces crimes, la situation ayant tendance à s’aggraver puisque les derniers chiffres officiels d’Infostats justices (bulletins de février et septembre 2018) montrent que 74% des plaintes pour viols (que ce soit pour les adultes que pour les mineurs) sont classées sans suite, que la moitié des plaintes instruites sont déqualifiées en agression sexuelles ou atteintes sexuelles, et qu’au final seules 10% des plaintes sont jugées aux assises ou au tribunal pour enfants, avec une diminution des condamnations pour viol de 40% depuis 10 ans. Dans l’enquête, 14% de l’ensemble des victimes de violences sexuelles ont porté plainte, et 24% des victimes de viol. Et sur la période prise en compte 32% de ces plaintes (39% des plaintes pour viols) sont classées sans suite (actuellement c’est pire, deux fois plus de plaintes sont classées sans suite), et 32% de ces plaintes (et 42% lors de viols) sont l’objet de déqualifications. Et seulement la moitié de ces plaintes ont abouti à une condamnation.Ces chiffres mettent en lumière l’impunité dont bénéficient ces violences d’autant plus inquiétante qu’elle s’aggrave depuis 10 ans.
Source IPSOS : 10 ans : l’âge moyen des premières violences sexuelles
Auteurs : Adeline Merceron (Responsable d’activité santé – Département Public Affairs) & Etienne Mercier (Directeur Politique et Opinion – Public Affairs)